Joseph Pigassou 1878 - 1961

Joseph Pigassou 1878 - 1961

Distribution gratuite au Champ de Mars - étude par Joseph Pigassou

Distribution gratuite au Champ de Mars

Scène IX (égl. VI)

Argument

Introduction par le chœur et scène qui se déroule sur le lieu des distributions, probablement au Champ de Mars. Le peu­ple arrive plein de méfiance et veut se rendre compte de ce que vaut ce qui va lui être distribué. Il tourne et retourne tout, scrute, palpe, défait les paquets et de tous côtés par­tent des rires sarcastiques. Un malin fait le simulacre d'assister à la préparation des bonnes choses promises. L'assistance s'amuse. Mais bientôt la colère éclate. César-Octave survient, fait l'étonné, proteste qu'il n'y a point de sa faute, lève les bras au ciel et an­nonce que la chose va être portée en justice car il doit y avoir eu des voleurs... Et promettant bonne pitance il fait, en attendant, enlever ce qu'il avait envoyé.

 

Le chœur

1er demi-chœur contre Octave

La Terreur-Syracusaine a daigné se moquer de toute la Ville et n'a pas rougi d'offrir à des affamés des vivres devant lesquels ils ont dû fuir. Comme son distributeur vantait les teintures en les faisant briller au soleil, un rationnaire est venu faire des remontrances et dire qu'il était oppor­tun qu'Octave donne à manger à ses électeurs et leur envoie des cruchons bien accompagnés.

(Le distributeur a fait la commission et C.-Octave a répondu ce qui suit)

2ème demi-chœur pour Octave

Maintenant c'est une fatalité ! II y aura des gens qui, en plus de leur corbeille voudront emporter de petites charges d'huile et avoir, comme réserve, un tiers de médimne de blé. Sur cette façon insolite de se faire régaler je réfléchirai. Je ne puis m'engager à donner tous les ans des festins extraordinaires, mais si quelqu'un, follement tenté par la goutte de cochenille, demande que la distribution revienne trois fois l'an, alors je ferai crier des distributions payantes de boissons mais quand Phébus est irrité rien n'est plus agréable qu'une distribution d'eau de source (comme celle) que les choéphores avisés ont mise en tête (de leurs fonctions).

À vous la suite, chercheurs de pitances !

Purée de légumes aux oignons dont le pillard même se dé­tourne, persil purgatif, bouchées de verdure, trognons de ra­ves de Zacynthe, chardons à suc rouge et corrosif pour emplâtres, chicorées au porc pourri, charognes de chevreuil, toutes choses à faire crever quiconque poussé par la faim en manquerait, gisaient à terre et la pourriture de verrat faisait le pendant des canthares à sec.

Les gens s'approchent et, comme plus d'une fois déjà, à première vue, la cruche à deux anses les avait trompés, ils in­troduisent des cuillers dans le goulot, reniflent et regardent à l'intérieur en y faisant tomber un rayon de lumière. Pour les paquets dont l'Intérieur est inaccessible à la lumière ce sont des palpations répétées et celui qui rencontre sous sa main un paquetage à la ficelle met avec couteau la marchandise à découvert.

Un autre voyant la fraude tout au fond des paniers dit : « Débarrassez-vous de ces plats d'herbages, c'est assez d'avoir pu les voir ; contrôlez les cruchons par le goulot. À vous les cruchons. Un autre contrôlera d'autres marchandises. »

En même temps lui-même se met à l'œuvre.

Et les sarcasmes de pleuvoir sur la ration de vin, sur les chardons rouges, les gibiers... Il ne se contente pas de tourner en dérision de soi-disant vins qu'il fait couler au soleil, il ne se contente pas de d'émerveiller les nez de la suavité des navets, à l’entendre on croirait que sont vraiment rassemblés là les vivres imaginaires d'Auguste : ragoûts de gibiers, oies cuites au four, gâteaux au jaune d'œufs et au miel à quoi viennent s'ajouter des biscuits et des pains de bientôt-fait. II se met (toujours dans sa mimique) à reconnaître les morceaux tendres, à mettre en vases séparés l'eau et le vin, à s'administrer de nombreux gobelets de vin de Formies. Il mime les tueuses d'oies s'extasiant à regarder les graisses fondues tomber goutte à goutte sans interruption sur la braise où elles brûlent en petites flammes enfumées en faisant piou, piou, piou. Les railleries commencent à s’élever, racontars, lazzi, trompette à la ronde se répandent emportés par le vent. On parle de sac de blé pillés, de volailles farcies pillées, d’agneaux pillés, de ragoûts brulés, des ouvriers qui sont mauvais, des boulangers qui s'enivrent, de l'eau jetée sur le charbon (pour l'empêcher de brûler trop vite) et qui a noyé les résines inflammables alors qu'on voulait que du menu charbon chauffât autant que du bon charbon marchand, et des balayures qui ont été mélangées aux aliments pour en grossir le volume.

Une cannelle ne peut être vantée qu'en pleine lumière, mais un sac de charbon ne peut être vanté que dans 1'obscurité.

Ah ! charbon de duperie ! Il (Auguste) a accepté des fagots incomplets. Les mercantis ont rempli de débris des sacs usés sans qu'aucun d'eux ait cherché à maintenir ce charbon de broutilles avec des liens d'airain. Et cependant ils avaient à craindre pour ce menu charbon les secousses du transport et leurs mosaïques de haillons demandaient à être bien fermées. Ah ! charbon de duperie ! C'est tous les quolibets que tu t'éparpilles maintenant !

(Ailleurs) le bataillon, dont on a oublié de remplir les tonneaux, se démène comme un cochon qu'on égorge et ressasse à satiété des représailles et des menaces de mort. Tel un loup il court à travers les victuailles avec des cris aigus : enlevez ces tonneaux, ces cannelles semblables à des tétins de vieille, ce jus de mures, en cannelle ! Enlevez ces ramassis de miettes et de rognures ! Qu'on emporte ces tartines de fromage pourri, ces navets au sanglier gâté, ces purées d’oignons, cet herbage insolent ! Assez de ces barbouillages qu'on nous fait avaler pour nous amuser ! Assez de ces vivres empaquetés ! Nous voulons que des vins purs de raisins mûris au soleil nous conduisent à l'ivresse !

(Auguste survient, étonné qu'on soit mécontent)

Tantôt il s'exclame avec des contorsions impossibles ou tourne en se lamentant comme une danseuse de tragédie, tantôt, allant et venant comme une bacchante, il évolue avec art en battant des mains et, faisant des grâces, il lève vers le ciel des bras que l'on prendrait pour le croissant de la lune.

Alors il annonce qu'un enquêteur sera envoyé aux cannelles avec mission de produire en justice les preuves du dol, qu'il produira (comme pièce à conviction) un broc de vin, que le chœur redoutable des casaques pourra se lever comme témoin, que le pilleur de cruchons doublement ligoté de liens de chanvre, les pieds nus et la tête abondamment couverte de poussière devra dire : "Ceux qui ont voulu te prendre en faute reçoivent leur châtiment et expient le crime abominable qui a fait pâlir de honte Agrippa et à la suite duquel le bataillon prenait l'habitude d'obéir à des excitations et à des mouvements d'impatience et se laissait aller à des refus (de ration) et à des blâmes". Ces derniers devront reconnaître (catégoriquement) que les corbeilles contenant des concombres sauvages arrivaient opportunément et que jamais aucun bataillon n'a pu se vanter d'être mieux traité.

Quant à établir le pillage… ? (Peut-on espérer) que celui que la rumeur publique accuse vienne raconter, sans détours et avec stricte observance du serment prêté par lui, qu'il a à l'aide d'un siphon introduit dans le tuyau de bois (servant de robinet) transvasé à la dérobée le liquide de l'intérieur des peaux de bœufs dans des cruches et qu'il a par un rapide échange, sans témoins substitué, des eaux répugnantes aux vins goudronnés ? Combien de cades ce pillard de grande envergure s'est appropriés, par quelle manœuvre habile il y est arrivé et par quels subterfuges il a. réussi en toute sécurité une manœuvre aussi importante ?

(Là-dessus) tout ce que, dans les chaleurs de l’été, naguère, un amateur de vin à gosier profond pouvait entendre dans le mot beuverie, tout ce qu’un gros mangeur pouvait désirer, il (C.-Octave) le promet. En attendant, il fait ramasser par des porteurs de corbeilles ses navets immangeables et son lot de vins évaporés.

Et la rareté des vivres tend toujours vers la famine.



17/11/2018
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