Joseph Pigassou 1878 - 1961

Joseph Pigassou 1878 - 1961

Le drame virgilien selon Joseph Pigassou

 

SCENE 2ème (Églogue II)

 

Le cabinet de travail d'Auguste

 

Le coryphée

César-Octave rogne les pains, il ne distribue que des miettes et il brille d'obtenir qu'Horace l'en excuse auprès du peuple réduit à la diète. Il est à bout de vivres, il ne peut plus compter que sur des glands ayant fait l'objet d'un mauvais marché, mouillés par la pluie et ramollis. La famine arrive. Dans cette conjoncture, pour mieux allécher l'importun chansonnier, il le couvre do promesses et répond à sas critiques et à ses railleries en lui offrant des cadeaux.

 

Soliloque do César-Octave

(S’adressant à Horace absent comme s'il était présent)

0toi, qui te fais applaudir en me dénigrant, tu prends à partie mes cruchons de vin trouble, tu dis qu'ils ne sont pas buvables et que c'est pitié. Tu veux me faire sortir de mes habitudes[i]. Maintenant c'est du blé, du pain, des aliments de luxe et des rôtis qu'on me réclame. Maintenant, le bataillon des mercenaires, tout efflanqué de misère qu'il soit, foule aux pieds les blés sous prétexte qu'ils sont mélangés et l'appel des licteurs aux marmitons reste sans effet, car sur la caisse aux balayures on entend cogner la pelle y jetant des repas entiers. Vers moi, tandis que je surveille l'utilisation des raisins verts que la vue perçante des grappilleurs a décou­verts, les gourmands, dédaigneux des glands, me renvoient mes ramassis avec dégoût… Mais pour eux, n’est-ce point une chose que d'avoir reçu de moi double gratification de mariles de jus de raisins, et n'en est-ce point une autre que d'avoir reçu des biberonnettes de teinture, et ceci de Mécène ?

(S’adressant à soi-même)

Bien que tu aies été donneur de farine, bien que tu aies été prodigue de bonne chère, ô homme harcelé par les Erynnies pour tes talents de rogneur, ne te fie pas à des gardes du corps dépités ! Les services de l'annone succombent et on en est réduit à la soupe aux lentilles.

(Revenant à Horace)

Tu m'accables de mépris et tu te gardes bien de faire entrer en ligne de compte toutes mes prodigalités. Tu n'en finis plus, dédaigneux, de répéter des ragots sur ma vie privée, de me pro­diguer des ruades et de faire grincer mille railleries dans l'écume de tes couplets moqueurs.

(S’adressant à soi-même)

Les railleries mordantes sur mes vins qu'il dit invisibles, sur mes rôtis qu'il dit carbonisés, ne lui manquent pas et jusqu'à quel point n'était-il pas déchaîné quand il disait que mes viandes étaient des restes mal brulés de bûcher funèbres que j'avais disputés aux chiens ! Ah ! certes je suis loin d'être chanté sur la lyre ! Dernièrement encore ne me suis-je pas vu sur le point d'implorer devant les persistances de ce bourdon tournoyant ? Et si las hommes célèbres ont des sacrifices d'animaux au pied de leur bucher funèbre, je finirai par craindre que cette bête énervante ne me conduise bientôt à cet honneur[ii] !

(Revenant à Horace)

Mais, puisque je suis le maître, il doit m’être permis de disposer à mon gré des monnaies entassées dans les paniers du fisc et des monceaux d'objets précieux du Trésor Public, et de me soustraire à mes dettes et de contraindre les gens à me faire l'aumône en leur tendant la main par dessous ma bure de mendiant[iii].

Avec d'habiles boniments comme las Pans en font[iv], tu me vanteras sur la place. Le Pan, d'esprit fin, pour donner de la séduction à son gobelet de corne, a inventé le boniment. Le Pan sait courtiser les citoyens-électeurs et aussi les chefs de tribus. Et tu ne te repentiras pas d'avoir réduit en poussière en y employant ton esprit, les infamies malicieusement rapportées sur mes amitiés et que Marc-Antoine grossissait démesurément[v]... Et il est bien ma propriété ce nom composé de sept lettres différentes que O. J. César me donna naguère pour patronyme en disant : "C'est toi que ce nom qui devrait mourir avec moi aura désormais cornue représentant". Ainsi parla César et le stupide Antoine en fut jaloux… Mais... passons... J'ai à Caprées deux palais. Je ne voulais pas les donner. Ils ont été construits pour moi en marbre de Paros d'une blancheur éclatante. J'en ai fait pousser les travaux et ce sont maintenant des séjours enviables. Un embarcadère descend dans les flots en pente douce et retient un navire qu'on peut prendre sans se mouiller les pieds. Ce sera pour toi. Depuis longtemps déjà le bataillon des mercenaires me supplie pour les obtenir et il y arrivera puisque mes cadeaux te répugnent.

(À soi-même)

À cela tu ajouteras bien encore autre chose, ô crieur da pains rognés.

(Revenant à Horace)

À toi l'excursion vagabonde hors des sentiers battus, la litière à six porteurs, la baignoire de galactite ! À toi l'esclave baigneuse au chant mélodieux, qui te débarrasse des coupes que tu as vidées et qui, dénouant sa ceinture, quand le vin t’a mis en langueur, juvénilement t'enlace de ses petits bras en s’abandonnant. Ensuite, en camarade et toute joyeuse, après las vins généreux et les massages contre la fatigue, sans musarder elle te peint, éclatantes de blancheur, tes sandales.

De mon côté, c'est avec plaisir que je tiendrai compte (au peuple) des arriérés de vin de table, des cruchons vides, des vinaigres donnés pour du vin, des mariles minuscules et noyés d'eau. J'ajouterai des fêtes bachiques dans un décor de plantes ornementales tel un jardin de riche maison. Les lampes seront chatoyantes de dorures et mille divertissements amuseront les convives jusqu'à ce que les ombres de la nuit se dissipent dans les lueurs de l'aurore…

(À soi-même, ce ravisant et s'apostrophant)

Un gaspilleur ! voilà ce que tu es César-Octave ! de porter tes excuses au peuple Horace n'a cure, et, si pour briguer tu ne distribue pas mieux que des excuses, ce donneur d'eau de Mécène te roulera… Ah ! Ah ! qu'ai-je voulu de l’abominable copiste ! En m'abaissent devant lui j'ai perdu tout prestige, et par ma faiblesse, par mon léchage j'ai ouvert la porte à ses invectives !

(Revenant à Horace et changeant de ton)

Mais connais-tu bien celui à qui tu tournes le dos, insensé ! Les juges poursuivront tes railleries et c'est la branche avec une bonne corde pour te pendre que tu es en train de mettre au monde.

Qu'un enfant se plaise à jouer au consul ridicule et se laisse moquer dans ce jeu : soit. Mais moi, je ne tolère la moquerie que si elle souffle dans une autre direction que la mienne. La ration de vin dépend du gobelet ; le gobelet dépend du mastroquet ; le sort du mastroquet malhonnête dépend de sa malhonnêteté ; et l'attitude de César-Octave envers toi dépendra de ton attitude envers lui Horace ! La vilenie reste au vilain.

Considère mes offres ! Pour tes attaques je te rends pardons et vie sauve et l'intérêt que j'ai à te faire ces avances, étant donnée l’ambition qui m'y pousse est là pour doubler 1a valeur de mes paroles.

(S’adressant à soi-même)

Dispenser des vivres est une chose qui brûle de souci le dispensateur. Par quelles mesures, en effet, peut-il se faciliter sa tâche ? Ah ! César-Octave ! César-Octave ! le peuple inquiet commence à se mettre contre toi ! Épouvanté par des présages, préoccupé de son panier de vivres le centurion est dans le trou de la Pythie[vi] ! Que n'allèches-tu plutôt un joueur de cithare qui n'ait pas besoin d'une sublime gloriole et qui de ses petits talents soit prêt à te défendre en homme vraiment attaché à ta maison.

Et pour Horace tu trouveras un caveçon s'il te vilipende encore.

 

 

 

SCENE 3ème (Églogue III)

 

Dans l’atrium de la maison Palatine

 

Le Divin Auguste                                 Mécène

(Damoetas)                                         (Menalcas)

 

Mécène

Dis-moi, Divin Auguste, qui est candidat ? Marcus ?

 

Auguste

Non. C'est AEmilius Lepidus. Il vient de me déclarer sa candidature lui-même.

 

Mécène

C'est une figue trompeuse, et combien rusé ce candidat ! Tout en conseillant aux gens de se tenir le ventre chaud, de peur que la puissance nutritive de ce qu'il distribue ne leur donne la diarrhée, ce singeur de fin gourmet tire à peine de sa bourse quelques deniers et veut se faire valoir avec de ridicules caillés de petit-lait et des légumes !

 

Auguste

De ceux-ci les parties qui sont du vert le plus clair sont les meilleures pour la santé de l'esprit, souviens t'en[vii]. Moi j’ai appris à être munificent avec des sportules bien tassées où figuraient des chevrettes rôties accompagnées d'une petite bourse de pièces de monnaie.

 

Mécène

Je sais. Alors on me traitait d'avare à cause de mes vins baptisés, mais ceux qui furent prodigues de choses coûteuses se sont assis sur des fagots de dettes.

 

Auguste

Et Moi j'ai entendu ces affamés qui sont les arbitres des comices, quand tu leur fis distribuer de la charogne rôtie et qu'ils explosaient de fureur en la rejetant sur le sol ! Quand tu vis leurs reniflements et entendis leurs clameurs tu étais dans l'angoisse et si tu les avais encore dupés en leur donnant de mauvaise farine tu étais un homme mort.

 

Mécène

Et qui aurait le courage de servir des quartiers de faisans pour tant de festoyeurs ?... Mais ne t'ai-je pas vu soutirer à pleines mesures le blé destiné au pain du peuple, par des reprises à la dérobée, au moment où on le versait dans les meules ? Et comme les-gens criaient : "Où va donc, maintenant, notre denrée nourricière ? Où va donc notre pain ? " Toi, tu accusais le coup de racloir final.

 

Auguste

Mais n'est-ce point la foule qui, pour ne pas succomber sous la charge, rendait elle-même du blé ? N'est-il pas vrai que pour chaque mesure de blé rendu j'ai fait donner en échange, à la demande générale, des cruchons et des gâteaux ? Ces délicatesses, données en remplacement, étaient plus que copieuses. Le peuple, avec son équité naturelle, en convenait et très peu refusaient de faire l'échange.

 

Mécène

Une charge à mourir sous le poids et saillant sur le dos comme une bosse de chameau ! Mais y eut-il jamais sportules plus dénuées de pâtisseries que les tiennes ? Et t'a-t-on jamais vu, en prodigalités de table, et par amour du fastueux, faire répandre sur la paille abominable de ton triclinium le moindre cruchon ? en pure perte ?

 

Auguste

Pour en finir avec des paroles inutiles, veux-tu qu'en toute clarté nous examinions tour à tour ce que chacun de nous peut faire ? Quant à moi, une parcimonie trop serrée je la rejette et pour que tu ne cherches pas à te dérober, je te dirai que déjà, par deux fois, un cortège compact d'amateurs de farine est venu en désordre jusqu'à la meunerie. Alors dis ce que tu mettras dans tes couffins pour défendre ta brigue.

 

Mécène

Tout bien compté, je n'oserais distraire quoi que ce soit de mes entrepôts. J'ai des difficultés d'approvisionnement à cause des pirates, des blés qui se rouillent, ou qui sont dévorés par la vermine des bateaux. Et puis... meunier et distributeur comptant tous deux à la fois et trop vite s'embrouillent et me comptent plus de pains qu'ils ne m'en livrent... Mais, chose que pour les molaires du peuple, toi-même reconnaîtras d'un plus grand prix, car tu aimes la plaisanterie, je servirai de petits plats de vesces[viii], nourriture à la mode dont le blé lui-même est jaloux, que les maîtres meuniers ont de la peine à broyer et auxquelles viendra s'ajouter, parcimonieusement le tumultueux haricot. Cette préparation doublement venteuse sera coiffée d'une pincée de farine. Au lacet de cuir, un demi-morceau de chevreau pend comme une ombre. Le meunier ayant désapprouvé le dessert auquel serait consacré, pour en faire des monceaux de friandises entassées sur des planchettes, ce qui doit être réservé pour le cuisinier et le manutentionnaire de l'annone, j'ai fait préparer des délicatesses fourrées au miel, mais je les tiens cachées (ce sera une surprise).

 

Auguste

Pour moi, les plats permis par le maître meunier sont moins riches : une guirlande d’ail règnant en tresses au milieu d'une grande corbeille de navets. Au lacet il a mis un hérisson engraissé en basse-cour. J'ai aussi fait préparer des délicatesses fourrées au miel que je tiens en réserve. Quand on regarde à l'économie on ne peut pas faire des menus mirobolants.

 

Mécène

Alors la réputation que tu t'es faite de traiter les gens comme en noces tu la perdras, où que ce soit que l'on parle de toi. Que l'amateur de farine ait seulement connaissance de ce menu qui est une moquerie et je ferai bientôt des effets oratoires pour ton éloge mortuaire.

 

Auguste

Il te vient là des envies de femme grosse. Tu voudrais me voir déchiré comme un gibier par des chiens. Cette furibonde sollicitude ne se réalisera pas. Ton éloge mortuaire je la pare. Je n'aurai qu'à servir aux électeurs, au lieu de glandée, de la farine vierge à profusion.

 

Palémon

(Un amateur de farine)

Amenez les remplisseurs de corbeilles. Nous nous attardons dans une fatigante dispute alors que tout le monde est dans l'anxiété, qu'on entend grincer à vide les dents des vers du bois et que nous errons comme des fourmis en quête du brin de paille.

Commence, Divin Auguste, et toi Mécène suis-le. Annoncez l'abondance. Nos corbeilles aiment l'abondance.

 

Auguste

Le caillou-qui-vote s'achète avec du pain[ix]. Ce caillou-là se paie plus cher que les autres. Il cultive le vomissement. À lui mangeailles et cruchons à satiété !

 

Mécène

Il n'aime pas l'odeur de la pestilence ; à mes distributions on a toujours de bonnes raisons pour s'éloigner au plus vite. Il n'y a que peaux, raclures, tripailles et déchets de porcs.

 

Auguste

La délicate sportule demande d'acceptables écuelles. Elle fuit les rognures et désire par-dessus tout que la rasade survienne à propos.

 

Mécène

Je ne rougis pas d'offrir des viandes gâtées par la putréfaction, issues merdeuses d'abatage de porcs ; c'est plus que malsain, car avec elles ce n'est pas un régal qu'il y a dans les paniers, mais la peste.

 

Auguste

On ne doit avoir que des distributeurs laissant bien voir comment ils font les paquets, et j'ai interdit les surprises qu'on attribue au doigt-levé, et où ont été nichés des aliments corrompus.

 

Mécène

Comment il se fait que tu ne me répugnes pas profondément, ô merdasse ? en quoi me sers-tu ? C'est que plus tu fais fuir de délicats, moins il reste de monde à satisfaire aux dépens de mes greniers.

 

Auguste

Comme substance alimentaire, la sportule a réclamé d'une voix retentissante de la farine vierge. C'est du blé que tout le monde puisse voir et toucher qu'il faut apporter en abondance.

 

Mécène

D'un butin de varechs amassés par les rames et abandonnés dans l'écume du rivage j'ai fait de fraîches gerbes que j'ai envoyées à l'entrepôt. Demain je les enverrai moudre.

 

Auguste

De ce varech portes-en le moins possible. Ce n'est utilisable que comme éponge de matelots. Quand j'aurai besoin d'herbe sèche pour allumer le feu, alors, au lieu de brindilles, vienne le varech.

 

Mécène

Ce varech, avant la pêche, se laisse facilement remuer avec la gaffe et finalement, entortillé sans trop de peine il livre sa masse spongieuse.

 

Auguste

L'écuelle de chêne est faite pour les petites pâtes alimentaires ; pour les rôtis de grand festin c'est la broche ; pour ce qui est à ramasser avidement sur le sol c’est les sacs grands comme des gouffres ; pour le marile négligé c'est la double ration de compensation.

 

Mécène

(Pour éviter de donner quoi que ce soit il fait ressortir les inconvénients de tout ce qui pourrait être donné)

Des boisseaux de Haricots ?... C’est trop de bruit à la fois. Des condiments ?... Ça fait grincer les dents quand on les triture dans le mortier. Du vin ?... Ça fait tituber. Quant aux fromages mous… ils toujours noirs de chiures de mouches.

 

Auguste

Abondance de vin, voilà ce qu'il faut au pain de froment pour être dégluti. Ne le mesurez pas aux estomacs qui ont bon appétit.

 

Mécène

(Même jeu)

Les cruchons engendrent les longues soulographies. Soyez chiche de ces présents ! Le gobelet déborde vite ; il s'en répand d'irrésistibles fureurs et de véritables batailles.

 

Auguste

Celui qui aime l'opulence des repas viendra là où on sert les plus réputés. Il faut qu'il soit comblé de petits soins et aussi satisfait que l'enfant qui a de bonnes nourrices.

 

Mécène

Celui qui ne déteste pas les teintures prouve qu'il a bonne nature et qu'il sait se contenter de cruches d'eau. Laissons donc l'ivrogne courir après l'échanson… Et qu'il aille traire les boucs[x].

 

Auguste

Celui qui tire un lot de pourritures de porc données cernais choses mangeables saura sentir les rôtis empoisonnés, même si la grillade pourrie est empaquetée dans les ténèbres du panier (allusion aux procédés de Mécène).

 

Mécène

Évitez de pratiquer dans le boisseau le moindre petit trou. On ne croirait pas qu'il y soit venu honnêtement. Un mesureur intègre vide jusqu'au dernier grain son boisseau de distribution. (allusion aux procédés d'Auguste).

Auguste

Il faut renvoyer les mastroquets qui demandent de l'argent pour des biberons vides. Moi-même, quand le moment sera venu, j'éplucherai leurs factures.

 

Mécène

Il f ut boucher les trous faits aux peaux de bœuf. Si, à travers le poil, un poinçon les a transpercés, comme naguère, c'est en vain que nous presserons ces outres de nos mains.

 

Auguste

Heu ! Heu ! Quel fier maître de cuisine ai-je là ! Avec sa suite de largesses, on voit qu'il possède la science des folles ripailles tant pour 1’apprêt que pour 1a distributions des festins.

 

Mécène

Avec ces vivres certes, on peut s'attendre à de folles querelles. Rien ne sera sacré[xi]. Je ne sais quel redoutable me semble prêt à surgir de cette Brigue.

 

Auguste

Dis-moi dans quelle argile sont façonnés ces demi setiers de trois coudées qui font la pluie et le beau temps sur les distributions de vivres ; et les miennes auront du succès[xii].

 

Mécène

Dis-moi dans quelle argile sont façonnées ces tablettes de vote où sont inscrits d'avance les noms des consuls désignés, et tu auras tous mes varechs pour allumer ton feu[xiii].

 

Palémon

(C’est le coryphée parlant pour le peuple)

On ne gagne rien avec de gros gourmands à pratiquer l'art des festins parcimonieux.

Les électeurs ne seront point assez sots pour se laisser duper.

Gardez vos vivres sordides. Les distributions de pourritures conduisent au tombeau.

 

 

 

 

César-Octave

SCENE 4ème (Églogue IV)

 

Dans une basilique, devant un attroupement de ventres-creux

 

Le coryphée

Reprenant les promesses d’Auguste pour en faire ressortir les fourberies, et d’abord imitant un aparté d’Auguste :

Ne songeons plus aux petites miettes... annonçons des repas… Les distributions de pourritures ne réjouissent personne et elles provoquent des tempêtes populaires. Si j’annonce des menus propitiatoires, il faut que ces menus soient dignes d'un gourmet. Une vile mixture avilit son cruchon et sur l'indigence d'un repas public les blâmes s'élèvent à bon droit…

Maintenant on va voir revenir le rôti succulent. On va voir revenir des volailles farcies, de l'agneau...Toute une flotte de blé va être débarquée pour le meunier. La cannelle de roseau qui ne laisse rien couler et qui ne sert qu'à favoriser la fraude, ne sera plus de jeu et rasade sera faite d'un jus irréprochable dans sa pureté. Les brochettes de pigeons à rôtir vont bientôt régner sur l'agile tournebroche…     

Cela durera dix jours. Le fervent banqueteur, sans plus se soucier de sa maison, entrera en période électorale. La bonne cuisine chassera ses mécontentements et si, par hasard, durant le repas il se sent la gorge étranglée de sécheresse, s'il y a des coupes un peu fades ou noyées d'eau, un gobelet de vin de Formies arrangera tout.

Le bataillon recevra un tonneau de vin. Il verra ses légumes secs accompagnés de blé et mère de petits fromages. Grâce à de profondes aiguières à glace, dans le cratère tripode les boissons seront avivées. Des aliments savoureux, de beaux gigots d'agneau, de l'agneau garni de verdures, des ventres de truies, des rameaux chargés de fruits de toute espèce et des fèves cueillies dans la fraîcheur du matin, tout cela lui sera servi à pleines corbeilles.

Les marchands de vin apporteront des cruchons monooutes[xiv] de vins précieux, les palais délicats n'auront pas à craindre les morceaux coriaces et au jeu du cotabe les tintements seront retentissants...

Il y aura des sonneries de trompettes, des défilés de troupes aux flambeaux et, pour la Garde, un petit arc de triomphe tout enguirlandé.

… Mais sitôt que, grâce à ces festins populaires et grâce aux propagandistes, tu auras fait moisson de suffrages et que du pêle-mêle des tablettes dans les cystes, on aura dégagé ton élection, les repas fastueux se ramèneront à de petits cabas d'ail, les breuvages exquis à des boissons jaunâtres et c'est d'un échalas de bois que suinteront les coupes promises. A la fréquence des chopines succéderont d'horribles teintures aqueuses… une fois en passant. On a beau sonder les paquets et réclamer en disant qu'il n'y a dans les lots que de la pourriture, et dans les corbeilles que de l'orge sauvage, le blé restera réduit à rien, réduit à rien le morceau de viande salée posé sur des légumes secs gâtés, réduite à rien l'écuelle d’épeautre, et de nouveau, sur le dos des gens amaigris par le manque de nourriture on verra saillir les pointes des vertèbres. Que si les mixtures viennent à manquer, le mendiant sera là pour donner à boire et pour mieux marquer sa munificence, ce partageux n'acceptera même pas qu'en retour on lui rende de ma nauséeuse boisson.

Les denrées de l'annone seront revendues à mon bénéfice ; je ne laisserai détourner ni un grain de raisin à manger cru, ni un filet de vin. L'amateur de beuveries n'aura plus sa vilaine trogne d'ivrogne, car réduit à la sobriété, il reprendra de fraîches couleurs qui démentiront sa vieille réputation. Un vendeur consommé, aux boniments séduisants et sachant habilement incliner la balance, fera passer comme onguents en petits pots les lies de vin contre argent comptant. Les raclures dépourvues de chair, pour les rendre difficiles à contrôler il les enveloppera savamment. Des débris à pourceaux seront l'ordinaire des paniers et des vins gangréneux leur seront chichement ajoutés.

 

(Le coryphée s'adressant au peuple)

Accourez à ces festins ! II y aura des hoquets d’horreur devant le breuvage amer, devant les régals sortis de chez le marchand de vinaigres, de chez l'entrepreneur de poisons. Voilà la délectation des coupes fraîches, l'ivresse à pleins gosiers, et les gibiers, et les friandises, et les fiers mariles annoncés ! Voyez comme on va se régaler de liqueurs à la rose au frais ruissellement !

Oh ! de tant de choses fabuleuses il reste le pissenlit, le poireau, l'oignon sauvage, les herbes. Pour vos cabas et vos corbeilles ce sera bien assez de pouvoir attraper des vesces.

 

(Imitant Auguste)

Ce n'est pas par la petitesse des cruchons que Mécène l'emportera sur moi, ni par la fétidité des navets, ni par la pestilence de la viande de truie, pour tant que du verrat pourri soit associé à ses navets et du semblant de vin à sa peste.

 

Le chœur

C'est de la panerée que dépend le succès. Qu'un fol ambitieux sans vergogne brigue avec des laitues noires par intérêt bien calculé, et ce fol ambitieux sans vergogne pourra se dire que, par intérêt bien calculé, on se détournera de lui.

 

(À l'adresse d'Auguste)

Commence, crieur de navets, à apprendre ce que vaut une ration de racines ; tes distributions de pissenlits ont provoqué des tollés qui ne te ménageaient point. Va donc, crieur de navets, préparer le service de tes festins publics, ni l'esclave qui présente les vins en les nommant, ni celui qui les tempère ne te sont nécessaires.

 

 

SCENE 5ème (Églogue V)

 

Chez Virgile

Une pièce tout encombrée des volumes de l’Énéide qu’il est en train de revoir

 

Virgile                                               Horace

(Menalcas)                                         (Mopsus)

 

Virgile

Pourquoi donc, Horace, nous acharner ? Puisque nous avons réussi tous deux, toi, à mettre en effervescence les assemblées populaires en les embobelinant do ton bagout, et moi, à entraîner les gens de la rue, pourquoi prendre après le thème des paquets pourris celui des mixtures mal filtrées ?

 

Horace

Nous devons nous occuper de tout ce qui est distribué, Virgile ; il reste les eaux de pluie transformées en mixtures et cachetées à la cire ou encore les tonneaux d'où rien ne coule. Là-dessus relayons-nous. Considère que de liquides qui ne coulent pas on ne tire guère de chèmes même petits comme coques de noisettes et vides.

 

Virgile

Tus moqueries font qu'Auguste met encore plus d'ardeur à briguer.

 

Horace

Mais puisqu'il brigue toujours avec la même résolution ; comment espérer le mettre en déroute ? En chantant ses louanges ?

 

Virgile

Déverse donc tes sarcasmes sur ses concombres au hachis d'herbes, sur ses mets indigestes qui font se tordre l'estomac, sur ses crabes élevés en viviers, déverse donc, le bourreau tiendra 1e compte strict des sifflements de ta langue.

 

Horace

Et après ? J'ai chansonné ses brouets d'oignons-glands-herbages servis sous du bouc brûlé et c'est en chansonnant que je ferai l'expérience d'un tombeau pour nain chansonnier. Tu pourras ensuite dire à Auguste de briguer.

Virgile

Pour des louanges fleuries chantées à plein gosier, Auguste répond par une belle vie offerte en retour ; pour des critiques fatigantes, à jet continu, c'est les meurtrissures du caveçon ; pour 1’empoisonnant énervement c'est l'arrêt de mort.

 

Horace

Allons ! cesse d'être irrésolu et relayons-nous pour ce qu'il faut dire sur les cannelles oui ne coulent pas :

(Il commence)

Sur le fond d'un tonneau une chantepleure pleurait des larmes de sanies cadavériques qui tremblotaient et faisaient au soleil des effets de lumière comme en font les pendants d'oreille. Un démonstrateur vantard, tendant le creux de ses mains sales à cette cannelle d'où s'égoutte un vin abominable l'appelle "la Mère des pendants d'oreilles" ! Sans succès et de plus en plus vainement. Sur cette sanie qu'il fait miroiter au soleil les brocards ne manquent pas : "Rien qu'à voir ça, dit l'un, des soldats seraient glacés d'effroi". "Des marins, dit 1'autre, tomberaient foudroyés", et d'autres : "le laveur de cadavres l'a vidé de son seau". "Le fossoyeur l'a repoussé du bout de sa pioche au fond du trou, comme si c'était la peste"... On dit qu'elle a causé des broiements, des liquéfactions d'entrailles, des enroulements intestinaux… qu'elle a réduit au silence les furieux affamés d'une ville assiégée... qu'elle a coupé tous les désirs bachiques à des festoyeurs en pleine noce… et qu'il n'est point de gosier si grand, le serait-il même comme une entrée de terrier, qu’elle ne fermerait d'un bouchon de plomb.

 

(Apostrophe à Auguste comme s'il était là)

Tu es plein de jactance. Tu nous promets, pour le moindre de nos crochets des boudins par dizaines, pour la moindre de nos écuelles toute une étable de porcs, pour le moindre de nos chaudrons tout un convoi de salaisons, pour la moindre de nos libations des cargaisons de vin bachique ! Mais sitôt que nos suffrages t'ont porté au pouvoir, l'extra fine fleur de farine et le succulent rôti à la broche disent adieu à nos molaires. Nous leur avions fait espérer des collations bien arrosées, mais la surprise trompeuse et les navets crus reparaissent ; au lieu de coupe enivrante, au lieu de la pré-disposante langueur c'est l'infection de l'estomac et l'incoercible vomissement.

 

(À la ronde)

Éparpillez de l'oignon sauvage sur des feuilles de choux, amenez des amphores de teintures homicides, envoyez des festins de gibiers pourris ! c'est ripaille ! faites une poignée de petits oignons sauvages et sur ces petits oignons sauvages ajoutez un chou-rave ! c'est ripaille !

Dans une maison bien ordonnée,1'affamé a, pour se délecter les fumets des cuisines, l'édenté les morceaux durs comme acier trempé et le brûlé de soif la vue à distance de la belle couleur des vins.

 

Virgile

On ne peut mieux flétrir des vantardises. La grêle de tes paroles tombe comme il convient sur les vins de mixtures ; après tes violentes attaques on verra disparaître les distributions de boissons lientériques et reparaître le petit chevreau ; ce n'est pas la caresse enchanteresse mais l'invective que tu prodigues.

 

(À l'adresse d'Auguste)

Crieur de vinasses infectes ! tu peux chercher maintenant un chantre qui ait de l'amour pour toi. Quant à moi, ta table fastueuse aux ragoûts répugnants je vais en parler, la charogne brûlée nous la faisons enlever, car ce n'est point chose à distribuer ; la charogne nous l'enverrons à l'équarrissoir ; la charogne a toujours apporté la male peste…

Après elle qu'y a-t-il encore d'inexcusable ? Le crieur lui-même. Il fut un montreur de canthares coupable d'avoir trop vanté des petits cruchons qui ne contenaient que mixtures au stibium.

 

(Il récite son morceau)

La bouche grande ‘ouverte, impatient de recevoir sa becquée, le peuple est stupéfait ! ce sont des vins corrompus, couverts d'efflorescences et quand il voit à côté de ces soi-disant vins, des vivres de mendiants, de mesquins paquets de charogne et des fruits pourris il est prêt à prendre la fuite. La vilenie règne chez les distributeurs de boissons comme chez les distributeurs de ragoûts. Sur ces pots barbouillés de lie, ni les Compagnons de Bacchus qui font écuelle commune, ni les esclaves des galères ne complotent de pillage ; c'est au feu purificateur qu'on laisse la charogne.

"Voilà liqueurs de prix", proclament avec emphase des crieurs menteurs... "de l'enthousiasme en petits flacons ! du jus de premier choix en cruchons cachetés à la cire ! " et criant encore plus fort "voilà les délices suprêmes, le nectar ! le nectar ! le vin qui vous transporte ! voilà des tonneaux pour vos libations entre amis... "

Mais voici les imprécations qui pleuvent, voici les fureurs contre la charogne des corbeilles, voici que se déchaîne une tempête devant laquelle les crieurs s'enfuient.

 

(Rappelant les paroles d'Auguste au peuple, un jour que celui-ci demandait du vin) cf. page 24, note I

"les boissons fermentées trop fortes font, chez un homme à jeun, des baves qui écument à l'anus ; au premier bassin de fontaine venu je vous ferai remplir des burettes d'un modèle capable de satisfaire à toutes vos libations et pour les aliments encombrant vos molaires, un cure-dent. Sur le buffet, à de la fricassée de vesces, il y aura des brocs à vin... remplis de mixtures. Des vins ? Je prendrai bien garde à n'en point répandre dans vos paniers... Des nectars rares ? Le dompteur de mimes[xv] et le gaveur-malgré-soi[xvi] en promettront… en attendant, et Agrippa fera des répliques de ses rassasiants jets d’eau.

 

(En aparté)

Des convives aux frais de l'état il y en aura toujours, même s'ils ne trouvent aux tonneaux que des cannelles arides, même s'ils sont déçus par les viandes que je leur donne. La sportule qui n'a jamais su ce que c'est que les bonnes choses accueillera toujours avec joie la rarissime gouttelette, les navets aux oignons sauvages, et les débris de charogne. On viendra toujours aux paquets à emporter, aux petits gobelets à lécher... Que si devant le buffet, des miséreux assoiffés demandent, comme dans les orgies, une grande coupe par convive, tu décréteras crime puni de mort le fait de boire dans des récipients d'un congé.

 

Horace

(Après avoir poussé Virgile en avant, il le lâche)

Trop faible pour te suivre, je te laisserai les violences de ce programme, car, la peine de mort pour un chème, les gens austères, amis de la soif, ne l'encourront pas ; les viandes brûlées ce n'est point par plaisanterie qu'elles sont distribuées et ce ne sont point des vinaigres diarrhéiques que débitent les cannelles... Tu te trompes !

 

Virgile

J'ai assez longuement livré au fouet de la satire les mixtures troubles et jaunâtres d'Octave ; mon "Formosum Corydon ardebat Alexim" a bien montré comment il entend t'introduire dans sa domesticité, et le "Cujum pecus an Meliboei" de quels festins il est prodigue.

Mais toi, accepte donc cette collaboration qu'il t'a offerte et qu'Agrippa ne lui a pas apportée, malgré de pressantes demandes, parce que, quoi que tu en dises, la sportule était digne de l'égout par ses puanteurs, par ses vins sophistiqués et par ses surprises enrageantes.

 

 

 

SCENE 6ème (Églogue VIII)

 

Au bord de la mer à Ostie. Un navire léger, précédant une flotte chargée de vins, vient d'aborder et de débarquer une amphore à titre d’échantillon. Sur le rivage, prêts à se disputer l'achat de la cargaison, des négociants.

 

 

Auguste                                                       Agrippa

 

Le chœur

 

Le coryphée

 

L'habile manœuvre du Divin Auguste et d’Agrippa, ces régaleurs que le charlatan aux eaux de pluie, ce Mécène toujours oublieux des vins de table, vit, non sans surprise, organisant leur brigue et grâce aux cruchons desquels les hoquets de la Soif s'arrêtèrent frappés de stupeur et les cannelles cessèrent de couler des vins sophistiqués, cette habile manœuvre va vous être racontée.

 

Agrippa

(S’adressant à Auguste)

Quand te fieras-tu à moi ? Que ce soit en surpassant, pour ce qui est de la table, les largesses les plus prestigieuses, que ce soit en faisant couler des ruisseaux de douces liqueurs à satiété, arrivera-t-il jamais   ce jour où je pourrai tenir tes promesses ? Arrivera-t-il jamais que je puisse montrer à tout l'univers des cruchons donnés par toi, fermés d'une cire fuligineuse et dignes d’une renommée qui remplisse le ciel d'échos retentissants ? c'est à toi d'en décider et c'est à toi que finalement la chose profitera. Prends l'initiative de faire distribuer des cruchons et souffre qu'autour de ton front le lierre des cabaretiers s'entrelace aux lauriers des généraux victorieux.

 

Le coryphée

Une amphore de vin, à titre d'échantillon, venait à peine d'être débarquée de la cale d'un vaisseau par les matelots ; et, comme un filet de vin, pris dans le creux de la main ainsi que l'on fait pour l'eau d'une source, met très bonne grâce à se laisser apprécier, le Divin Auguste, se précipitant au goulot, en prit une libation.

 

Le Divin Auguste

(S’adressant à la flotte encore en mer et invisible)

Apparais à l'horizon toi qui m'apportes le salut ! Pousse devant toi la vague pour arriver en avance sur le jour prévu, car, dupé par un rogneur qui a bien réussi son coup, j'en suis à soupirer après les congés venant des îles, et, quoique la chose ne me flatte guère, je piétine ici dans le marais, montrant mes jambes poilues à découvert pour atteindre l’extrême pointe du bord de mer.

 

1er demi-chœur

(À 1’adresse d'Horace)

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Le dénigreur est toujours à s'occuper des oisifs au bec ouvert et aux hoquets incessants, toujours il dénigre les distributeurs des donateurs prodigues et leur Pan, qui verse même avec excès et ne laisse pas les cannelles inactives.

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

J'offre à Horace l'île de Caprées ! Que n'étais-je en droit d'espérer de ce témoignage d'affection ? II voyait là réalisés ses vœux de vie voluptueuse : régals avec de nombreuses servantes et où des biches folâtres et parfumées seraient venues à ses baisers.

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Allons ! Horace ! Incise sur tes tablettes de ténébreuses calomnies ! Il te manquera le chef d'accusation avec pièces probantes…

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

En te forçant comme pour accoucher tu n'atteins que barbouillages, pour mépriser les denrées que j'achète, pour rendre odieux mon nom, mes fournisseurs de vin, le remplissage de mes cruchons, pourtant pleins jusqu'au bord, mes assortiments de vivres et pour démontrer qu'un dieu d'occasion tel que moi ne peut se soucier du commun des mortels.

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Tu m'as fait passer pour un crieur de poisons. Tu t'es muni d'instruments pour rechercher la moindre moisissure, pour montrer la tendance à jaunir de mes vins et je t’ai vu ayant en mains 1’appareil et faisant des prélèvements, alors que le réceptionnaire, après contrôle sur échantillon, avait accepté ma livraison. Déjà je pouvais à coups de fouet contenir durement tes bavardages… Comment ai-je vu la chose ? Comment ai-je pu passer là-dessus ? Comment une funeste erreur m'a-t-elle entraîné ?

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Maintenant je sais ce que doit être un distributeur da vivres... Il arrive avec des sacs bien remplis, les délie et en tire, tantôt de la laitue, tantôt des friandises à la rose, tantôt des omelettes aux oronges marinées dans du garum, mais non des purées malsaines à la charogne ou aux raclures de porc.

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Le distributeur de petites bouchées trompeuses sait camoufler, en y clairsemant la chose corrompue, la ration da raclures de porc (et tromper ainsi sur la qualité). Un autre sait mesurer tout en étourdissant les gens de ses boniments, (ce qui lui permet de leur faire perdre le compte et de les tromper sur la quantité). Mais celui qui compte à faux et trompe sur la quantité est-il plus coupable que celui qui ment et trompe sue la qualité ? L'un et l'autre le sont également.

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

Maintenant je veux que le son s'envole loin de la farine, que les viandes cuites à point et dépecées emportent chacune leurs sauces, que les jus de pressoirs fleurent comme feuilles de nard, que de petits tas de glace fassent perler des gouttes de buée sur des cratères de vermeil, que le blé triomphe des raves, qu'il y ait un monceau de fromages... monceau sans vers, qu'entre les pieds de table il y ait du sable sec...

 

1er demi-chœur

Découvre donc des motifs pour dénigrer nos sportules.

 

Auguste

… Je veux que ce soit une mer véritable de victuailles et de vins purs ! Vivez dans 1’allégresse, ventres affamés ! À corps perdu je jetterai par les fenêtres les sébiles da monnaies, les encaisses des finances publiques, il faut que la joie s'empare de mes sujets jusqu'à les rendra fous.

 

1er demi-chœur

Cesse enfin ! Cesse donc de dénigrer nos sportules !

 

Le coryphée

(S’adressant au peuple)

Voilà ce que dit le Divin Auguste. Et vous qui briguez de quoi manger, apprenez ce que répondit Agrippa.

 

Agrippa

(S’adressant à Auguste)

Nous ne pouvons pas nous procurer des denrées. Éloigne de ton esprit les fagots d'épines. Mets une digue à des prodigalités qui seraient funestes à ton patrimoine. Donne un peu plus de vins substantiels, que tout le monde en ait, et, au lieu de mastes que ce soit des congés[xvii]. S'il s'agissait de détourner les mercenaires de réclamer pour la table, j'organiserais des jeux, mais ici rien d'autre que des cruchons ne te tirera d'affaire.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Avec des cruchons les satisfactions du gosier font oublier les réclamations du ventre. Mais dans les cruchons, les glaçons ont toujours changé les vins forts en vins faibles, et sous l'action puissante du froid contre l'orifice le vase éclate.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Contre l'échauffement des vins, pendant les grosses chaleurs je fais des enveloppements avec des linges rafraîchis par triple immersion dans l'eau. Je répète trois fois cette triple immersion et j'évite ainsi l'emploi de glace si ruineux pour ta cassette. C'est un procédé dont les marchands de boissons sont enchantés.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Ainsi, par aspersion des cuves tripodes, tu obtiendras pour tes mariles une agréable fraîcheur. Emprisonne tes mariles dans de la charpie, et, sans tarder, expédie les chars dès qu'ils sont chargé à plein.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Les conséquences de la famine sont effrayantes et le plus sûr de ton patrimoine fond à s'employer contre les troubles populaires. Au lieu d'offrir à ton dénigreur des cadeaux pour ses insanités, fais-le fouetter jusqu'au sang, déchire-le sous les morsures des lanières et plus il m'échauffe plus je resserre sur lui l'étreinte du fouet.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Il faut que celui qui fait de belles distributions fasse prendre le dénigreur sur le fait, lorsque faisant propagande pour les charlatans aux eaux de pluie (c'est Mécène) et cherchant à travers lots et corbeilles des griefs imaginaires, il s'égare dans son fatras de médisances et perd l’esprit jusques à oublier de s'en aller quand la nuit s'épaissit et commande de quitter la place, il faut que celui qui fait de belles distributions le fasse prendre et que je n'aie pas la charge de remédier à son gâchis.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement !

 

Agrippa

Les blés mélangés recueillis autour des aires, le bataillon les a laissés sans y toucher ; il s'y trouvait des grains écrasés au cours du dépicage et que moi-même maintenant, par stricte précaution contre la famine je destine à la corbeille (du soldat). Les dépicages les mieux faits débitent toujours des grains écrasés.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement.

 

Agrippa

Quant à ces soi-disant serpents et vers luisants que j'ai fait recueillir en mer, c'est le lac Moeris qui les a fournis. Ils naissent par multitudes dans la mer et j'ai vu souvent moi-même le loup (de mer) les surprendre, s'enfoncer dans les algues à leur recherche, faire sortir ces bestioles du fond de leurs cachettes et mettre au carnage ces ensemencements des eaux salées.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j’avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement.

 

Agrippa

Fais venir des convois de mariles convenables et abondants, et laisse de côté les produits des jardins. Tu ne le regretteras pas. Ainsi, je pourrai faire pièce au dénigreur qui n'a aucune considération pour tes vins ni pour tes cruchons.

 

2ème demi-chœur

Faites glisser le morceau que j'avale, ô mes chers cruchons, faites-le glisser délicieusement.

 

Agrippa

Regarde ! Le feu de ses chansons s'est réduit tout d'un coup à de petites flammes tremblotantes, et dans guère plus de temps qu'il n’en faut pour le dire, il n'en restera que cendre.

Tant mieux !... Et m'abuserais-je ? Voilà que l’aboyeur aboie des excuses et des louanges... Faut-il en croire nos oreilles ? Ou est-ce un rêve comme les désirs ardents nous en procurent ?...

 

2ème demi-chœur

Soyez indulgents ! La résipiscence est venue pour notre joie. Soyez indulgent pour le dénigreur !

 

 

 

SCENE 7ème (Églogue VI)

 

Sur le terre-plein du Champ de Mare où les vivres sont rassemblés prêts à être distribués.

 

 

                     Le coryphée                       Le chœur                     Un mime

 

1er demi-chœur

(Contre Octave)

Le tyran de Syracuse[xviii] a daigné se moquer de toute la Ville et n'a pas rougi d'offrir à des affamés des vivres devant lesquels ils ont dû fuir. Comme son distributeur vantait ses teintures en les faisant briller au soleil, un rationnaire est venu l'admonester : "II faut qu'Octave fasse manger ses électeurs et leur envoie des cruchons de choix."

 

2ème demi-chœur

(Pour Octave)

Maintenant c'est une fatalité ! Il y a des gens qui, en plus de leur panerée, veulent emporter de petites charges d'huile et un supplément d'un tiers de médimne de blé ! Sur cette façon insolite de se faire régaler, je réfléchirai. Je ne puis m'engager à donner tous les ans des festins de plus en plus avantageux. Mais si quelqu'un, follement épris de la goutte de cochenille, réclama qu'elle revienne en distribution trois fois l'an, j'en ferai crier des distributions payantes, quoique quand Phébus est ardent, rien ne soit plus agréable qu'une distribution d'eau de source comme celle que les Choéphores avisés ont mise en tête de leurs rites.

À vous la suite, vous qui briguez des vivres.

 

Le coryphée

(Décrivant la scène)

Purée de légumes aux oignons, que même le voleur méprise, persil purgatif, bouchées d'herbes sauvages, trognons de raves de Zacynthe, chardons au suc rouge et corrosif pour emplâtres, chicorées au porc pourri, charognes de chevreuils, épluchures de jardinage gâtées gisent à terre et les pourritures de verrat font le pendant des canthares à sec.

Les gens s'approchent, et, comme déjà plus d'une fois la cruche à deux anses les a à première vue trompés, ils introduisent des cuillers dans le goulot, reniflent et regardent dans l'intérieur en y faisant tomber un rayon de lumière. Pour les paquets dont l'intérieur est inaccessible à la lumière ce sont des palpations répétées et celui qui rencontre un ficelage compliqué l'ouvre avec son couteau.

Un de ceux qui sont là voyant 1a supercherie tout au fond des paniers s'écrie : "dispersez cette provende, on l'a assez vue, vérifiez les cruchons, l'état du goulot, la marque à chaud sur la cire, l'enfoncement du bouchon, la difficulté à l'extraire… en même temps il commence son jeu.

Alors, comme au réel, on le voit mimer la petite ration de vin, les chardons rouges, les gibiers, les bâtons remuant des teintures mal réussies ; il ne se contente pas d'exprimer de la joie à voir trembloter les gouttes de drogues dans les rayons du soleil, il ne se contente pas de s'extasier à l'odeur des navets qui fleurent comme roses, il s'échauffe, on le voit devant un festin, devant un service de vins à la ronde, devant des gibiers en sauces, devant des quartiers d'oies rôties, des gâteaux au miel et aux œufs, des biscuits délicieux, des crèmes au froment... on dirait que sa mimique se transforme en réalités !... Il reconnaît les morceaux tendres, se verse en vases séparés de l'eau et du vin, s'administre de nombreux gobelets de vin de Formies... il fait les tueuses d'oies qui s'extasient à regarder les graisses fondues enfumées faire de petites flammes au moment où elles tombent l'une après l'autre sur les braises en faisant pip, pip, pip, pip.

Dans l'assistance on rit aux éclats, des lazzis fusent de tous 1es côtés sur les ailes du vent et de la moquerie.

Puis c'est le tour des sacs de blé pillés, des volailles farcies pillées, des agneaux pillés, des ragoûts brûlés, du mauvais ouvrage et de l'ivresse des boulangers... On voit arriver encore le mauvais charbon, comment on l'a chargé de cailloux, comment le pillard qui n'y a trouvé que cailloux va se consoler en achetant du vrai charbon et comment le marchand voleur devrait mourir si des témoins le dénonçaient. La pleine lumière donne du charme à la neige et l'obscurité au sac de charbon. Ah ! charbon de voleur ! Il (Auguste) a choisi (par parcimonie) des fagots petits et ayant du manquant ; les mercantis ont rempli de leurs débris des sacs usés qu'aucun d'eux se soit soucié d'assurer avec le moindre lien d'airain un bon empaquetage de ces broutilles. Cependant ils avaient à craindre pour ces menus morceaux les secouements du transport, et leurs mosaïques de haillons demandaient à être bien fermées. Ah ! charbon de voleur ! maintenant tu t'éparpilles sous les quolibets !

De l'autre côté, le bataillon, oublié, sans vin, se démène comme un cochon frappé du couteau et remâche à satiété représailles et massacre. Tel une meute de loups il suit les victuailles avec des cris aigus : "Enlevez ces cannelles truquées ! ces cannelles à jus de mûres ! enlevez ces balayures de miettes et de rognures ! qu'on emporte ces tartines de fromage pourri, ces navets au sanglier pestilentiel, ces purées d'oignons, ces paquets vides ! Assez de ces barbouillages bons pour amuser ! Assez de pendants d'oreilles de vin de figues tremblotant au soleil ! Nous voulons que des vins purs de raisins nous conduisent à l'ivresse.

(À ce moment César-Octave survient au milieu de la foule surexcitée et pour se mettre hors de cause il va jouer la comédie sur ses démonstrations hypocrites v. Suet. Aug. LII.)

Tantôt, il s'exclame en se contorsionnant en tous sens, ou, versant des larmes, tourne comme une danseuse de tragédie. Tantôt, allant et venant comme une bacchante, il évolue avec art en battant des mains, et, faisant des grâces, il lève vers le ciel des bras ouverts à droite puis à gauche comme les croissants de la lune.

Alors il annonce qu'un enquêteur ira voir les cannelles avec mission de produire en justice les preuves de tromperie, qu'il prélèvera un broc de vin et que le chœur redoutable des casaques pourra se lever et témoigner ; que le voleur de cruchons, doublement ligoté de chanvre, les pieds déchaussés, le corps couvert de poussière, devra dire : "ceux qui ont voulu mettre le désordre viennent recevoir leur châtiment et expier le crime abominable qui a fait pâlir de honte Agrippa, car ils ont fait prendre au bataillon l'habitude d'obéir à des excitations injustifiées, de refuser les rations et de récriminer". Ils devront catégoriquement reconnaître que les corbeilles distributrices de concombres sauvages ont toujours été choses bienvenues et que jamais aucun bataillon n'a pu se vanter d'être mieux traité.

Quant à établir 1e pillage... peut-on espérer que celui que la rumeur publique accuse, vienne de lui-même raconter exactement et sous serment formel, comment il a percé de solides bouchons et comment avec un siphon introduit dans cette ouverture il a fait passer secrètement ses mixtures en peaux de bœufs dans des cruchons monooutes et substitué rapidement de méprisables falsifications à des vins au marum apportés en petits tonneaux ; comment, audacieux pillard, expert en soutirages, il s'est procuré des vins fabriqués, par quelles complicités mystérieuses il y est arrivé et par quelle contre-tromperie il a développé en toute sécurité une machination qui dépasse toutes les autres.

Tout ce que, naguère, un amateur de vin pouvait entendre par régal, quand Phébus est ardent, tout ce qu'un gros mangeur pouvait désirer, il le promet.

En attendant il fait ramasser par ses porteurs de corbeilles ses navets immangeables et remporter son lot de vins qui n'existent qu'en vapeurs.

Et on ne cesse de progresser du jeûne vers la famine.

 

 

SCENE 8ème (Églogue IX)

 

 

Mécène                                                       Horace

(Moeris)                                                      (Lycidas)

 

Horace

Des colères ! voilà la surprise que tu te réserves ! La pépie des électeurs les pousse vent arrière au blackboulage !

 

Mécène

Ah ! mon gros loup ! avec mes stupidités de charlatan, je suis arrivé à ceci que le Seigneur des Comices me dise (chose que je n'aurais jamais cru devoir redouter) : "Ça ! c’est de la berce... de la puante teinture noire !" Et maintenant fui de tous, conspué, puisque ce fourbe d'Auguste renverse les plans arrêtés en commun, il faut bien que moi aussi j'envoie des chevreaux[xix] au bataillon afin qu'il soit bien disposé pour moi.

 

Horace

Pourtant j'avais entendu dire qu'à partir de l'endroit où les Collines commencent à s'étaler, après avoir incliné leur sommet, en pente douce jusqu’au Fleuve et jusqu'aux vieux hêtres récemment écimés[xx] ton ami Virgile avait essayé de faire passer tes denrées avec de petits cruchons.

 

Mécène

Tu l'as entendu dire et ces bruits sont exacts, mais mes cruchons, ô mon gros Loup, sous les lazzi du Champ de Mars, eurent autant de succès que ces colombes trompe-la-soif, comme on les appelle, au mince filet d'eau qu'on boit à la régalade[xxi], et si une corneille, s'envolant à gauche de l'intérieur du chêne vert, ne m'avait averti de couper court n'importe comment à de nouvelles querelles, ni ton cher Mécène ici présent, ni Virgile lui-même ne seraient vivants.

 

Horace

Oh ! Peut-on concevoir pareil forfait ! Oh ! Ton précieux concours en même temps que ta personne ont failli nous être ravis, Virgile !

(S’adressant à Mécène)

Qui te prouverait mieux que lui l'utilité des cannelles ? Qui, d'accord avec moi, t'étalerait le mépris qu'on a pour tes prétendus vins, ou te convaincrait par des paroles ardentes qu'il faut des vins de charge et aussi des cruchons comme ceux que je viens de détourner discrètement pour te montrer que ces cargaisons de mariles venus par mer et dont on parle tant sont arrivées à bon port. Et le bataillon a élevé sa voix : "César ! puisque les régals bien composés redeviennent possibles arrange-toi avec les marchands de vin, mets en train les transporteurs, et veille à ce qu'il n'y ait point de retards. Le bataillon est impatient.de voir arriver le bouc ; il tape du gobelet. "Mais pour toi, comme à un voleur et sans y mettre des formes, voici ce qu'il criait : "Voleur ! ton application à rogner nos portions, portions de misère trop près de n'être plus qu'un odieux petit morceau, que le mouillage de tes vins la surpasse, et, gosiers béants, devant ta vile mixture on se verra réduit à la disette totale".

Aussi, tes marmites on les méprise, on en renverse les rangées ; aussi, tes teintures, qui ne sont bonnes qu'à être jetées, on les disperse par-dessus le buffet. S'il t'en reste jette les. A moi aussi les brigueurs de vivres m'ont répété : "c'est de la brume en cruchon ! des pilules minuscules de rebuts de cuisine". Et raisonnablement je pense comme eux, car ni les odeurs de charogne ni les criblures ne méritent d'être appelées nourriture pas plus que les tripailles conservées dans la saumure ou les peaux desséchées ne méritent d'être criées.

 

Mécène

C'est cependant ce que j'ai fait. Je n'ai rien à te répliquer, ô mon gros Loup ! Je tourne et retourne en ma cervelle comment je ferai pour mériter qu'on se souvienne de moi (à l'heure du vote) et je me dis : "Un cruchon ! ce n'est pas à négliger !

Mais ajoute-lui autre chose ! Oh ! sportules, qui de vous est détaché de réclamer comme un pourceau ! Pour celui-ci c'est un plat de goinfrerie ! pour celui-là, une cannelle doit verser à la ronde des cascades de vins toujours frais, pour un autre le réjouissant tournebroche doit être prêt à traverser les flancs de la pièce à rôtir que de souples liens maintiennent dans leurs enlacements… et ajoute encore… et qu'un étal bien garni dispense de copieux rôtis...

 

Horace

(Étonné de cette prodigalité insolite)

Pourquoi donc, quand il fallait du blé, t'ai-je entendu faire obstinément crier du gland ? Le distributaire qui n'a reçu que cette pâture ne l'oublie pas. Pourquoi donc, en tant que donneur de vivres, ne veux-tu pas voir autre chose que cet aliment des hommes primitifs ? Regarde la table du Divin César. Elle a du succès, car c'est une table où les porte-casaques peuvent se régaler de rôtis. Aussi pourrait-il mener sans aucun empêchement, dans l'intérieur des Sept Collines, la cabale la plus présomptueuse. Introduis toi aussi, sans regarder à la dépense, des soldats dans Rome et que ceux qui ont soif reçoivent de ton vin.

 

Mécène

Mes denrées me portent malheur, l'eau de puits aussi ! Que de fois j'ai fait crier des pissenlits à pleine voix oubliant que j'avais en réserve des glands ! Cette fois-ci j'ai complètement oublié les cruchons et même les vivres ! La jugeote abandonne Mécène ! Les atteintes de l'âge, les distractions se sont donné rendez-vous chez Mécène ! Mais Virgile te le répétera bien assez.

 

Horace

En voulant trop économiser tu places tes distributeurs de miettes sur la pointe d'une lance. Maintenant, tout le monde se tait quand il est question de toi sur la place publique, et regarde, tous les vents qui te portaient la chance sont tombés malheureusement ! Dès cet instant les vins purs doivent être notre force, car les attrape-suffrages (c.-à-d. les cruchons) de César-Octave commencent de se montrer. Partout où les chefs de tribus sont en conférences, là, Mécène, faisons de la propagande, là fais porter des chevreaux... Pour la grosse distribution au peuple nous achèterons du vin au port, et si nous craignons qu'il (Auguste) n’accapare la cargaison des navires avant nous, allons-y pour surenchérir, oh ! sans nous rompre les reins, et si tu acceptes que nous y allions, moi, du montant de 1'enchère je te déchargerai en partie. Allons ! décide-toi, c'est là ce qui presse le plus.

Nous pourrons d'autant mieux promettre des cruchons qu'ils seront effectivement arrivés ici.

 

 

 

SCENE 9ème (Églogue X)

 

Chez Mécène

 

Le chœur

(S’adressant au peuple)

 

Le revirement forcé d'attitude de Mécène, laisse-mol te la rendre assimilable.

Mécène consent à donner des cruchons ?... Aussi peu que possible... Horace fera, de lui-même l’appoint. Comment pourrait-il refuser des cruchons à Mécène ? Ainsi tu auras pour noyer les ardeurs de ta soif de fraîches boissons. Que l'égout n'y mélange point son onde ! Prépare-toi !

Nous, disons les folies qui troublent l'esprit de Mécène. Pourvu que ses fournisseurs réalisent des mixtures de grands festins nous ne chanterons pas l'air de la corde à puits. La bonne marchandise répond d'elle-même à la raillerie !

 

Le coryphée

(Récitant)

[xxii](Le Divin César a distribué des vins) et de belles panerées. Il a délicieusement rassasié les électeurs à même les cannelles. Il est venu aux nouvelles chez son collègue, en ami. Les sénateurs sont venus voir le miracle. Virgile arriva, la prunelle sombre comme celle des serpents. Tous demandent : "D'où t'est venue cette immense folle ?" Arrive sa jeune femme : "Bel ami, dit-elle, pourquoi extravagues-tu ? Voilà que ton cher petit Loup s'est mis en quête d'un cintre à glace et de jarres à petit lait ! Arrive l'importun encaisseur des Jardiniers avec sa facture, entrechoquant ses petits bouliers et ses grattoirs de pierre. Arrive le Pan, vendeur avisé de boissons, le Pan que tout le monde peut voir déambuler offrant ses liqueurs aux baies sanguines de sureau et au minium". Te calmeras-tu ? dit-il, un économe ne songe pas à donner des fêtes, un distributeur de gouttelettes ne songe pas à remplir des bouteilles, ni à saturer des cruchons avec un filet de vin, ni des gosiers avec une libation, ni des cabaretiers avec des scrupules !" Mais lui le conspué : "Cependant vous vanterez les vins purs, dit-il, vous exposerez aux coups de la raillerie les vins sans force, noyés d'eau de pluie et servis dans des cupules de gland ! Quant à moi je veux que le vérificateur des outres soit satisfait de ses constatations et pour les friandises, que les tablettes d'argile portent les noms de ceux qui en auront distribué. Et je veux n'avoir été désigné qu'en raison des transports bachiques venus de mes amphores, ou des cyathes vidés en mon honneur, ou de l'interminable service des vins de mes banquets !"

Il est certain que si je n'avais à distribuer que de la feuille de choux, si je n'avais que de la merdasse ou un quelconque ramassis, j'aurais beau, alors, appeler la crotte boudin, la charogne chair fraîche et les flacons vides flacons bien remplis, tout cela, et mon cadavre avec, serait éparpillé à travers les arcades du Portique sous l'œil indifférent du centurion. La feuille de chou servirait à me faire des couronnes et la merdasse à m'ensevelir[xxiii].

Mais maintenant un gratte-tablette, devant l'entrée du Champ de Mars, contrôle et retient dans chaque assortiment les vins pernicieux et les os sans viande.

(à Horace)

Toi, bien loin du genre de vie de tes parents, tu me demandes pour ces rationnaires (et je voudrais n'avoir pas à ta satisfaire) de la neige friable venue des Alpes et des rôtis d'agnelles ! Quelle délicate attention ! Ah ! Il ne faut pas des rôtis risquant de peser sur leur estomac ! Ah ! il ne faut pas des glaçons à arêtes vives risquant d’entailler leurs mains cherchant à les saisir !

J'irai donc et j’alignerai bien en vue, tout au long du Chalcidique, les cruchons saupoudrés de neige et enveloppés de toile que je gardais pour moi au fond de mon cellier. En même temps, avec des serviteurs je ferai les cent pas devant ces cruchons de violente convoitise et j’écarterai les gourmands sans badiner De petites varangues (barrières) de bois hérissées d'aspérités empêcheront les parasites qui aiment la badinerie de les couvrir de caresses. Déjà je m'y vois aller ayant en mains les cires et les flambeaux pour entortiller à mon aise les goulots. Je leur donnerai la forme du bec de corbeau entr'ouvert avec ligatures assez serrées pour que le breuvage, divisé en petites gorgées, soit plus agréable, et que le plaisir de l'humectation soit plus prolongé, et que la demande de liquide apprenne à se modérer.

Déjà, ni les cruchons ni les tonneaux ne me sont retournés. C'est donc qu'on en est satisfait, et c'est à vous, railleurs, de retourner là d'où vous êtes venus.

(Après ces transports de munificence, Mécène réfléchit, son naturel lésineur reprend le dessus et il trouve de bonnes raisons pour se dédire)

Mais, au fait, j’aime mieux être moqué au milieu de mes réservoirs d'eau et supprimer les beuveries ruisselantes de grande noce à des buveurs insatiables et stupides ! Plus on multiplie les beuveries et plus on fait de stupides !

Et puis, il y a là des mendiants, des assassins, des entrepreneurs de coups de couteau et de matraque ; il y a là le pratiquant du croc-en-jambe et des femmes qui vous retournent les poches quand on a commerce avec elles.

Et enfin, ce ne sont pas les bontés de la matière buvable qui impressionnent le glouton ! Il boit avidement dans des vins qui font frissonner d'horreur, il absorbe à grands pots des teintures sidonniennes aux eaux de pluie sans rien de vin et même quand le vin d'un tonneau s'est évaporé faute de lut et n'est plus qu'un résidu desséché, il boit l'eau du rinçage qui a entraîné le dernier suc !

Sa passion accepte tout. Eh ! bien contentons sa passion t

(Sur cette conclusion Mécène continuera à distribuer des ripopées)

 

 

SCENE 10ème (Églogue VII)

 

Le tribunal de l'Arbitre, au milieu du Forum.

 

César-Octave et Mécène ont été cités par un procurateur pour avoir fait distribuer au peuple des vivres avariés.

 

César-Octave                                                Mécène

(Corydon)                                                    (Tyrsis)

 

Marcus Agrippa

(Méliboeé)

 

(introduction par Marcus Agrippa)

Le magistrat chargé de faire toute la lumière sur les faits incriminés siégeait. César-Octave et Mécène avaient apporté des échantillons de leurs vinasses : Mécène, ses jus d'herbes[xxiv], César-Octave ses drogues secrètement étendues d'eau. Tous deux avilis par leurs méfaits, accablés et comme transpercés d'épines et mourant de peur en hommes dignes du Barathre.

Là, de petits morceaux de victuailles, images de leurs festins, pains fourrés de rôti brûlé, pâtés de ramassis de viande, une outre de vin gâté, étaient venus s'échouer.

Je regarde 1'arbitre. Celui-ci me voyant du côté des défendeurs, me dit : "C'est ton droit, Marcus, tu peux les assister ; en tant que pièces à conviction le bouc est saumâtre ainsi que les chevreaux. Si tu crois pouvoir faire quelque chose pour César, attends que l'orage soit passé. D'un côté tu vas voir comparaître, sous un tonnerre de huées, les charlatans à l'eau de pluie qui arrosent tout à la ronde, de l'autre le mesureur sordide dont les corbeilles ne contiennent que paille avec pour prétexte une poignée de mauvais blé. C'est avec raison que les grondements retentissent : "Vengeance ! Au pal !".

Que faire ? Je n'avais là ni une miette de farine, ni un légume pouvant être présenté comme aliments mangeables afin d'obtenir un non-lieu, et l'affaire était, autant pour Octave que pour Mécène, terrible[xxv]. Après coup cependant, j'obtins l'assistance du Bataillon au prix de satisfaction promise à ses demandes de blé. Les deux collègues se mirent alors à s'assaillir en courtes phrases, chacun d'eux s'appliquant à énumérer les abominations de l'autre. Tour à tour C. Octave rappelait celles-ci, Mécène celles-là.

 

César-Octave

Cannelles, nos amours ! fenêtres par où sortent les libations ! Faites-moi don de cruchons pareils à des jarres de puits. Le Bataillon les sollicite en phrases brèves et menaçantes, et si je ne puis le satisfaire, il a juré qu'ici sur l'album des écorchés vifs mon nom serait affiché an vernis gras.

 

Mécène

(S’adressant aux échansons d'Octave)

Distributeurs de drogues ! vos pourritures nauséeuses, vantez -les à grands cris comme vins entonnés sans mélange d'eau ; il faut que toutes les oreilles, même celles des cruchons, en éclatent ! et, si vous devez les vanter outre mesure colorez-les à la baie de sureau avec discernement. Que cette noire addition ne soit pas exagérée, car le boniment ne serait plus possible ensuite.

 

C. Octave

(S’adressant à Mécène)

À toi le verrat pourri, l'assiettée funeste, le champignon redouté, l'oignon monté à graine, les criquets ! Si cela ne dépendait que de moi, pour te récompenser comme le peuple le demande, on te ferait subir le supplice des souliers de constriction.

 

Mécène

(S’adressant au peuple)

Ce qui échappe par hasard au voleur et la goutte d'inimitié dans de petites coupes levées avec emphase, c'est assez pour toi d'en avoir la promesse ! Tu n'es que dégustateur à un banquet qui tiendrait dans une petite poche.

(S’adressant à C. Octave)

Maintenant, pour la distribution souhaitée par le peuple, j'ai fait une affaire de premier ordre pour lui[xxvi], mais toi, si jamais ta parcimonie ajoute quelque chose â ce que tu lui dois, que ce supplément soit au moins convenable.

 

C. Octave

(S’adressant au peuple)

Petites corbeilles de figues sauvages écrasées, petits morceaux d'oignons sauvages, ventosités de haricots, cabas de raves, petits paniers de miettes ! maigres choses ! quand après en avoir d'abord reçu en pâture on réclamera de vrais festins, si par hasard tu penses â ton cher Octave, viens à lui.

 

Mécène

L'eau croupie tirée d'une mare à peu de frais, un vin d'égout jaune à faire peur ne manquent pas de provoquer de mortelles souffrances ; avec moi on ne se voit pas offrir des rinçures. Bien meilleure que le Chio est la rasade d'eau de pluie. Rentrez chez vous sur le manger. Aux hommes sobres la palme de la vertu l Allez et soyez dignes comme des sages !

 

C,Octave

(Montrant Mécène du doigt)

Il promet des bœufs mais il morcelle tout en petites bouchées comme les avares. Un semis de persillade couvre ses rhubarbes ; profusion de boniments couvre ses marchandises. Prenez garde que vos intestins resserrés ne cessent de fonctionner ! Voici venir le trocart qui fait hurler ! Voici que les chirurgiens vont bientôt vous ouvrir la peau !

 

Mécène

(Dénigrant les denrées d'Octave)

Voyez ces flacons, voyez ces brocs aussi ruisselants que tétins de vieille ! ces importations de raves venues par mer, et ces plantes aquatiques qui font cesser l’hydropisie ! Voyez ces plats de charogne, ces rognures, ces débris de viande brûlée, ces écuelles de foin et ces crasses présentées sur des joncs comme des fromages !

 

C. Octave

(Vantant ses denrées)

Mes outres de bon vin sont là ainsi que les emplisseurs de cruchons. Tout le monde est assis à terre, ça et là, chacun couve des yeux le délicieux breuvage et mes denrées sont plaisantes à voir, mais qu'Horace, l'habile dénigreur, les prenne sous ses moqueries et il vous fera voir (par persuasion) que mes exquises cannelles sont sèches.

 

Mécène

(Plaidant pour ses denrées)

La terre est avide d'eau au voisinage des plantes, l'avare a soif d’argent ; l'ivrogne qui demandait du vin a vu avec envie les gens manger mes radis crus ; à l'apparition de mes varechs fraîchement cueillis un nouveau désir va grandir en lui et il voudra qu'un tonneau de pluie descende en jaillissant sur l'ardeur de sa soif.

 

C. Octave

(S’adressant à Horace)

L'abondance convient fort à la farine, le naturel au vin, le flair à celui qui leur cherche des défauts pour mieux les dénigrer, la rapidité du lièvre au froussard. Le varech est inséparable du dégoût. Tant que le varech sera inséparable du dégoût, ni ton flair n'aura plus d'effet que ce dégoût, ni ta forfanterie ne surmontera ta frousse.

 

Mécène

(S’adressant à Horace)

La phraséologie va très bien dans la raillerie, la boisson dans les banquets, l'abondance dans les cannelles, l'esprit chez les chansonniers railleurs ; mais, ô mon gros Loup, si habile à dénigrer, si tu viens me voir plus souvent c'est que ta phraséologie sur les vins et banquets (d'Octave) te joue un vilain tour.

 

Marcus Agrippa

En dépit de ses allégations c'est l'exil bien loin qu'on demanda instamment pour Mécène ; mais grâce à la présence propice des casques César-Octave obtient une approbation respectueuse de ses duperies.

 

Note - D'après la loi romaine, chaque plaideur avait droit, pour ce qu'il croyait utile à sa cause, de s'aider d'un défenseur de son choix et, en outre, d'amener ses amis ou autres personnes favorables à sa prétention, pour l'assister de leurs conseils ou tout au moins de leur présence, c.-à-d. pour lui donner l'appui de leur considération, de leur crédit et au besoin même de leur approbation. Agrippa, en obtenant l'appui du Bataillon des mercenaires appelés par lui à se trouver au procès. avait usé du procédé d'intimidation qu'il avait déjà employé en envoyant un centurion demander en plein Sénat le consulat pour Octave.

En reconnaissance de cet appui renouvelé devant le tribunal C. Octave avait redonné à Marcus l'amitié qui s'était refroidie précédemment (v. sc. I, égl. I), chose qu'on entend bien quand Marcus, après le procès. dit à sens ouvert : "Ex illo Corydon Corydon est tempore nobis". "Depuis ce jour C. Octave est redevenu pour moi C. Octave", c.-à-d. l'ami d'autrefois, du temps où nous étions ensemble à Athènes.

 

 

Exode

 

(Églogue X, vers 9 à 18 inclus et 70 à 74)

 

Le chœur

 

1er demi-chœur

(Exprimant les réactions du public à l'énoncé du jugement qui condamne Mécène)

Rires moqueurs, contorsions et chansons s'emparèrent des commères de la Ville quand Mécène, pour ses malchanceuses distributions de miettes, fut condamné. Ni sa sophistique de maquignon ni ses regrets ne furent pris en considération, pas même ses chaoniennes fraîches comme neige. Les gloutons l'ont chargé, les petits mangeurs l'ont chargé, l'affamé l'a accusé d'avoir beaucoup poussé par dessous la balance à peser les glands. Le moine quêteur qui passe tous les mois, les mendiants qui chantent dans les rues la chanson des hirondelles, les licheurs de vins filtrés l'ont chargé. Tous l'assistent d'un regard de haine accompagné de sifflets. Ils ne se soucient pas des trous que tu as dans la cervelle, comme toi tu ne te soucies pas de les rendre beaux et gras, fier distributeur de verdures !

 

2ème demi-chœur

(Demandant la révision du procès et faisant appel à l’indulgence)

Malgré tout, il suffira que le héraut ait introduit une interjection d'appel devant un second tribunal d'enquête, pour que celui-ci instruise contre l'exil demandé par l'accusateur des procédures d'examen. Faites la lumière la plus grande pour Mécène, pour ce Mécène dont les faiblesses d'esprit se multiplient innombrablement, à vue d'oeil, comme les feuilles dont l'aulne se couvre au renouveau du printemps.

 

Moralité

 

(Églogue X, vers 75, 76, 77.)

 

Le chœur

(À l'adresse des candidats et de leurs fournisseurs)

Prenez garde ! La tromperie pratiquée sur des vins en tonneaux est habituellement pleine de risques ; la duperie pratiquée avec des outres d'eau de pluie est pleine de risques ; et même les tromperies sur le menu charbon nuisent à votre crédit.

Déguerpissez ! rogneurs de portions ! le peuple est devenu farouche.

Déguerpissez ! mastroquets !

 

FIN

 



[i] Auguste était d'habitudes frugales, de repas très sobres et de goûts presque vulgaires (Suet. LXXVI)

[ii] Allusion aux sacrifices humains de Pérouse où Auguste fit immoler trois cents sénateurs ou chevaliers sur un autel dressé en l'honneur de Jules César.

[iii] Suet. Aug. XCI

[iv] Pans : marchands de boissons ambulants dans les rues de Rome.

[v] Suet. Aug. LXVIII et LXIX

[vi] Le trépied de la Pythie était posé sur un trou du sol d'où s'exhalaient des vapeurs qui étaient censées l'inspirer. Être dans le trou de la Pythie vaut dire y rester à demeure pour la consulter et savoir de quoi demain sera fait.

[vii] Ironie, Mécène était âgé et commençait à radoter.

[viii] Graines très dures mises à la mode par la disette et dont le blé est jaloux parce qu'il voudrait être aussi dur qu'elles pour ne pas être broyé.

[ix] Le caillou-qui-vote c’est l’électeur. Primitivement on votait avec des cailloux blancs ou noirs.

[x] C’est les peaux de boue dont sont faites les outres à vin.

[xi] c.-à-d. "tu as beau avoir été divinisé on ne te ménagera pas plus pour cela".

[xii] Ce demi setier de trois coudées c'est Horace qu'Auguste brûlait d'avoir comme propagandiste (favitor). Il l'appelait plaisamment "sextariolus".

[xiii] Allusion au procédé dont Auguste usait sans vergogne pour triompher aux comices consulaires.

Note : on trouvera dans la 2ème partie (exégèse) l'explication de cette fin d'églogue : répliques en devinettes entre Damaetas et Menalcas et appréciation de Palémon.

[xiv] Petits cruchons à une seule anse ou oreille et ne contenant que vins de choix.

[xv] C’est Mécène, dompteur d'Horace.

[xvi] C’est Lepidus AEmilius, v. scène III

[xvii] - Maste, coupe de la forme et de la dimension d'un sein de jeune fille.- Congé, mesure de capacité, = 2,27 lit.

[xviii] C’est Auguste qui avait fait aménager dans la Maison Palatine un cabinet de travail qu'il appelait "Syracuse". Cette appellation définissait le caractère de son ambition.

[xix] Petites outres en peau de chevreau pour vins de choix. Dans le programme de brigue arrêté entre Octave et Mécène, (v. égl. III) les distributions de vin n'étaient pas comprises, en décidant d'en faire (v. égl, VIII, scène précédente) Octave use d'un procédé de surenchère qui surprend Mécène et l'oblige à suivre.

[xx] Périphrase pour désigner le Champ de Mars. Il y avait, bordant la Voie Triomphale, des hêtres. L'espace compris entre la Voie Triomphale à l'ouest, la Voie Flaminia, peut-être aussi bordée de hêtres, à l'est, le pied du Capitolin et du Quirinal au sud, et le Tibre au nord, formait un quadrilatère dans la meilleure partie du Champ de Mars. Sur le côté ouest de ce quadrilatère étaient les bureaux de l'Annone où se faisait l'attribution au peuple des tickets de vivres (tessères en bois ?), ceux-ci étant rassemblés sur le terre-plein du quadrilatère. L'angle nord-ouest de ce dernier touchait au Pont Vatican, et à la sortie du Pont, sur la rive droite il y avait un chêne vert (yeuse, ilex). C'est de ce chêne vert que sortit la corneille dont Moeris-Mécène tira présage pour quitter ces lieux où il était, en compagnie de Virgile, pris à partie à propos des vivres qu'il avait envoyés.

[xxi] Colombes de Chaonie, ainsi appelées par Virgile, du grec chauniazo, χαυνιάζω gargoulettes à bec verseur très éffilé ; elles permettent de tromper la soif avec peu de liquide, elles ont la forme d’un pigeon, la queue fait entonnoir.

[xxii] Entre parenthèses, une conjecture de sept mots suppléant â une lacune du texte.

[xxiii] Les Basiliques ou Portiques royaux, sorte de promenoirs couverts, étaient formées d'une nef centrale assez large flanquée de deux nefs latérales de largeur moitié moindre, appelées Portiques. Aux extrémités du bâtiment il y avait souvent des salles appelées Chalcidiques, Portiques et Chalcidiques pouvaient être utilisées, lors des distributions au peuple, pour ranger les denrées demandant à être plus particulièrement surveillées ou abritées.

[xxiv] Cette herbe est le "meum" ou "meon", grande berce, dont les baies fournissent un jus rouge-noir. cf. plus haut "haec mea sunt".

[xxv] V. note, in fine hujus scenae.

[xxvi] Bonne affaire ou duperie, emporeuomai a les deux sens.



14/12/2018
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